L'exposition de La Dispute : acte I, scène 1

PERSONNAGES

LE PRINCE.
HERMIANE.
MESROU.
CARISE.
ÉGLÉ.
AZOR.
ADINE.
MESRIN.
MESLIS.
DINA.
Suite du prince.


La scène est à la campagne.


Scène I.

LE PRINCE, HERMIANE, CARISE, MESROU.

HERMIANE.

Où allons-nous, seigneur ? Voici le lieu du monde le plus sauvage et le plus solitaire, et rien n’y annonce la fête que vous m’avez promise.

LE PRINCE, riant.

Tout y est prêt.

HERMIANE.

Je n’y comprends rien ; qu’est-ce que c’est que cette maison où vous me faites entrer et qui forme un édifice si singulier ? Que signifie la hauteur prodigieuse des différents murs qui l’environnent ? Où me menez-vous ?

LE PRINCE.

À un spectacle très curieux. Vous savez la question que nous agitâmes hier au soir. Vous souteniez contre toute ma cour que ce n’était pas votre sexe, mais le nôtre, qui avait le premier donné l’exemple de l’inconstance et de l’infidélité en amour.

HERMIANE.

Oui, seigneur, je le soutiens encore. La première inconstance, ou la première infidélité, n’a pu commencer que par quelqu’un d’assez hardi pour ne rougir de rien. Oh ! comment veut-on que les femmes, avec la pudeur et la timidité naturelle qu’elles avaient, et qu’elles ont encore depuis que le monde et sa corruption durent, comment veut-on qu’elles soient tombées les premières dans des vices de cœur qui demandent autant d’audace, autant de libertinage de sentiment, autant d’effronterie que ceux dont nous parlons ? Cela n’est pas croyable.

LE PRINCE.

Eh ! sans doute, Hermiane, je n’y trouve pas plus d’apparence que vous ; ce n’est pas moi qu’il faut combattre là-dessus ; je suis de votre sentiment contre tout le monde, vous le savez.

HERMIANE.

Oui, vous en êtes par pure galanterie, je l’ai bien remarqué.

LE PRINCE.

Si c’est par galanterie, je ne m’en doute pas. Il est vrai que je vous aime, et que mon extrême envie de vous plaire peut fort bien me persuader que vous avez raison ; mais ce qui est certain, c’est qu’elle me le persuade si finement que je ne m’en aperçois pas. Je n’estime point le cœur des hommes, et je vous l’abandonne ; je le crois sans comparaison plus sujet à l’inconstance et à l’infidélité que celui des femmes ; je n’en excepte que le mien, à qui même je ne ferais pas cet honneur-là si j’en aimais une autre que vous.

HERMIANE.

Ce discours-là sent bien l’ironie.

LE PRINCE.

J’en serai donc bientôt puni ; car je vais vous donner de quoi me confondre, si je ne pense pas comme vous.

HERMIANE.

Que voulez-vous dire ?

LE PRINCE.

Oui, c’est la nature elle-même que nous allons interroger ; il n’y a qu’elle qui puisse décider sans réplique la question, et sûrement elle prononcera en votre faveur.

HERMIANE.

Expliquez-vous, je ne vous entends point.

LE PRINCE.

Pour bien savoir si la première inconstance ou la première infidélité est venue d’un homme, comme vous le prétendez, et moi aussi, il faudrait avoir assisté au commencement du monde et de la société.

HERMIANE.

Sans doute, mais nous n’y étions pas.

LE PRINCE.

Nous allons y être ; oui, les hommes et les femmes de ce temps-là, le monde et ses premières amours vont reparaître à nos yeux tels qu’ils étaient, ou du moins tels qu’ils ont dû être ; ce ne seront peut-être pas les mêmes aventures, mais ce seront les mêmes caractères ; vous allez voir le même état de cœur, des âmes tout aussi neuves que les premières, encore plus neuves s’il est possible. (À Carise et à Mesrou.) Carise, et vous, Mesrou, partez ; et quand il sera temps que nous nous retirions, faites le signal dont nous sommes convenus. (À sa suite.) Et vous, qu’on nous laisse.


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